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lundi 18 avril 2016

J'me baigne pus!

                                                                            

Histoires de pêche, Daniel Lefaivre, blogue de pêche, pêche brochet
« Se baigner dans ce lac-là? Tu y penses pas, c'est de la vraie folie! Moi j’me baigne pus! C'est trop dangereux. Pis j'parle pas des sangsues ou des moules qui vous tailladent les pieds, non, j'ai vu pire! Ben pire! »

« Ça s'est passé l’autre semaine. J'prenais mon café ici, en face du lac, assis sur cette vieille chaise de parterre. Le soleil commençait à se lever. Y devait être à peu près cinq heures et
demie. J'étais en train de me dire que la pêche allait être bonne à matin. La nature était à son plus beau. La brume s’était dissipée, j’entendais plein d'oiseaux qui en jacassaient un coup, pis j'observais la mère canard avec ses quatre petits qui la suivaient à la file indienne. Ça sentait bon, ça sentait frais les conifères. Si je pouvais arrêter le temps, c'est à cinq heures et demie du matin que j'le ferais! Pouvoir planter un clou dans l’horloge pour que l’aiguille passe pus, ce serait-y merveilleux, non? L’eau était claire et paisible, un vrai miroir. L’image de la montagne se reflétait dans le lac sans aucune distorsion. Une vraie beauté.  Une vraie carte-postale même. Les canards sauvages faisaient presque pas de bruit. Je voyais juste une petite onde sur l'eau quand ils se déplaçaient. »

« Tout à coup, j’ai vu un énorme poisson surgir de l’eau, gueule grande ouverte, juste en dessous de la mère canard. Ça a fait un bruit é-pou-van-table! L’espèce de monstre a bondi hors de l’eau comme une bouée qui refait surface. Subitement prisonnière, la cane a gémi un long “kouac...". Puis elle a tenté de battre de l'aile, sans succès. Les puissantes mâchoires retenaient
une bonne partie du corps, dont une aile. J’ai vu la tête de la mère canard se tourner vers ses petits, puis son cou s'est étiré au maximum, comme si cela allait l'aider à se défaire de
cette impasse. »

« Sous la puissance de l'impact, seule la queue du monstre était demeurée dans l’eau. Son corps fusiforme ne s'était même pas tordu ou plié. C’est pas croyable le swing que ce poisson a pu se donner. L'animal aux dents acérées s’est laissé tomber de tout son poids, entraînant sa nouvelle proie dans le monde sous-marin. »

« On aurait juré qu’un météorite tombait à l'eau tellement ce point du lac était devenu agité. C'est pas croyable l'eau qui a r'volé c'te fois-là! Un énorme brochet ou un maskinongé qui
bouffe un canard de même, ça fait brasser des choses en dedans quand tu vois ça! Ça prend tout un carnivore qui a l'esprit plus gros que la panse. Y aurait pu se contenter d'un canardeau! »

« Pis après, pus rien. Le calme est revenu. Les canetons tournaient en rond et cherchaient leur mère. Y tournaient en rond autour de quelques plumes qui étaient remontées à la surface.
Les petits canards chantaient des notes fausses et criardes. Tu peux pas savoir l'effet que ça m'a fait. Regarde, y sont tout seuls aujourd'hui. Y s'promènent comme ça maintenant sans
leur mère. Sont beaux hein? C'est des orphelins. On dirait qu'y se souviennent de l’endroit maudit. R’garde-les ben aller, tu vois, y restent au bord à c't’heure. On dirait qu'y sentent le
danger qui les guette s`ils s'aventurent plus loin sur le lac. »

« Moi c'est pareil. J’aime mieux être prudent…

J’me baigne pus… »

Daniel Lefaivre