On a bien le droit de se rincer l’œil et les idées en
admirant cette portion
du lac de St-Faustin-Lac-Carré.
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La corde à
linge
Le « Street Fishing », vous connaissez? C’est une
belle expression de nos temps modernes pour illustrer qu’il est possible de pêcher
aux abords de l’île de Montréal en utilisant ses jambes, un vélo ou les
transports en commun. Plus besoin d’aller à Kuujjuaq dépenser la valeur d’une
auto neuve pour un séjour de pêche, on n’a qu’à pratiquer le « Street
Fishing » dans le fleuve au sud, dans un lac à l’ouest ou dans une rivière
au nord. Et ça mord! La qualité de pêche est surprenante et le poisson est
consommable.
Il est juste un peu plus malaisé de revenir avec ses prises dans
le métro, mais ça, c’est une autre histoire! Parce qu’avec la pêche en ville,
vient son petit côté écolo où il est tellement plus sain pour l’environnement
et l’écosystème de remettre ses prises à l’eau. Alors je prendrai un
egoportrait de moi d’abord et de mon doré ensuite en arrière-plan. Et je me
« câllerai » une pizza pour dîner, après tout, je ne suis pas au fond
des bois, je suis en ville, je fais du Street Fishing! Quelle belle expression!
À 14 ans, au début des années soixante-dix, nous avions
aussi mes amis et moi, développé une expression tout aussi sympathique à la
pêche. « La corde à linge » faisait partie de notre vocabulaire à
chaque sortie de pêche. –Attention à la
corde à linge, fais gaffe, la corde à linge, oh non, prends garde, la corde à
linge! Je ne parle pas de la corde à linge faite à Richard Zednik en 2007 par
Kyle McLaren, mais elle fait aussi mal!
Notre lieu de prédilection était aux abords de la
Rivière-des-Prairies, juste en amont du barrage hydro-électrique de la rivière,
bien avant que cela devienne un sanctuaire de pêche. Comme nous rêvions de pêcher au nord du 49e parallèle, à cette
époque, on l’appelait le barrage Gouin, ce qui lui donnait un air pompeux et
éloigné! Notre technique était fort simple, un jig à poil de chevreuil jaune
(Buck tail) de ¼ d’once qu’on lançait le plus loin possible dans le courant
créé par le barrage et qu’on ramenait à toute vitesse de peur d’accrocher notre
leurre au fond de l’eau, car cet endroit n’est constitué que de grosses
pierres, pièges mortels pour nos précieux leurres.
Et il était là le danger. Avec la puissance du courant, dès
qu’un jig criait au secours déprenez-moi, j’ai la cheville et l’émerillon de
coincés, notre fil de pêche bien tendu devenait un filet qui attrapait tout ce
que le courant amenait. Et c’est là
qu’on se ramassait avec une « corde à linge ». Pas un centimètre de
notre monofilament n’était dénudé. Alors en soulevant notre canne au-dessus de
l’eau, une gigantesque guirlande de papier hygiénique, de condoms, de serviettes
sanitaires, de nouilles à spaghetti et d’étrons faisait osciller notre
canne. Il n’y avait plus rien à faire,
le fil de pêche allait céder d’une seconde à l’autre. Mais parfois, tous ces
détritus étaient tellement lourds qu’il fallait prendre garde de ne pas briser
notre canne quand on soulevait cette corde à linge. C’était notre hantise, pas
question de toucher à mains nues à cette merde!
Et notre fil finissait par rendre l’âme. On le voyait partir
dans le courant emportant avec lui son amas de souillures comme une robe de
mariée qui vole au vent un dimanche après-midi quand il se fait voyeur.
Faut dire qu’à cette époque, nous pêchions dans des égouts à
ciel ouvert et que les usines d’épuration n’étaient que maquettes avec des
politiciens qui se faisaient fièrement prendre en photo. Et je ne vous parle
pas de l’odeur nauséabonde pour un pêcheur à gué, je vous laisse sentir par
vous-même… Bref, nous pêchions dans une fausse septique sans le savoir!
On nous promettait de l’eau pêchable, baignable et même
potable! Alors à 14 ans, quand ta bicyclette à poignées mustang ne t’amène pas
plus loin que le bout de l’île et que tu aimes pêcher, sans vraiment savoir ce
que c’est qu’une nature non contaminée, alors tu pêches quand même…et tu manges
le poisson, sans trop savoir… Ben quoi, si la barbotte est vivante et qu’elle a
une belle chair rose…c’était notre
vision scientifique de l’époque…
On a beaucoup progressé depuis. Beaucoup. Les usines de
filtration font des miracles. La qualité de l’eau n’est pas comparable à cette
époque. On a découvert d’autres expressions comme le développement durable, des
centres d’enfouissements et combien de termes réconfortants comme
« récupération ». Mais allez voir par vous-même, l’eau de la
Rivière-des-Prairies est plus propre que ses rives. Parce que certains
comportements ne changent pas. Fil à pêche, emballages de leurre, de cigarettes,
cannettes et bouteilles, chaise pliante brisée, contenants et ordures de toutes sortes longent
le sol à profusion.
On est passé de matières fécales à matières
environnementales. Juste des mots. Juste des expressions. On n’est pas loin de
la corde à linge.
Quand j’ai entendu tout ce que qui s’est dit sur le
déversement de 8 milliards d’eaux usées dans mon fleuve et quand j’ai vu une photo avec des préservatifs et
serviettes sanitaires flottants à la dérive, ça m’a bouleversé. Et vous savez
quoi? On a même osé faire un avis :
« La Ville demande d'ailleurs aux citoyens de ne pas
jeter dans les toilettes des objets comme des tampons, des condoms, des
cure-oreilles, du fil dentaire ou des huiles de cuisson. »* (La Presse.ca,
10 novembre 2015)
Moi qui croyais que jeter ses ordures aux toilettes était
chose du passé! Moi qui croyais que nous avions développé une conscience
collective environnementale et que ces pratiques n’existaient plus depuis
quarante ans…
En 2015, on fout ces
trucs-là dans nos cabinets? Innocemment, je croyais que nos usines de
filtration avaient été conçues pour purifier l’eau des déjections humaines et quelquefois
chimiques, l’eau de pluie qui emporte avec elle un peu de boue impropre, salée
en hiver, mais pas à ce point-là…
Et puis je me
demande, parmi tous ceux et celles qui ont décrié le déversement, qui ont signé
des pétitions, qui se sont gargarisés sur le sujet, qui se sont époumonés oh combien
cela est scandaleux, combien parmi ces citoyens à la conscience élevée, combien
parmi ceux-ci jettent encore préservatifs, produits sanitaires et restes de spaghetti
aux toilettes? Honnêtement?
Vous allez m’excuser, je dois
aller vider mon huile à tondeuse dans le « canal » en face de chez moi.
Daniel Lefaivre ><((((º>
·° ºoO
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