« Ça s'est passé l’autre semaine. J'prenais mon café ici, en face du
lac, assis sur cette vieille chaise de parterre. Le soleil commençait à se
lever. Y devait être à peu près cinq heures et
demie. J'étais en train de me dire que la pêche allait être bonne à
matin. La nature était à son plus beau. La brume s’était dissipée, j’entendais
plein d'oiseaux qui en jacassaient un coup, pis j'observais la mère canard avec
ses quatre petits qui la suivaient à la file indienne. Ça sentait bon, ça
sentait frais les conifères. Si je pouvais arrêter le temps, c'est à cinq
heures et demie du matin que j'le ferais! Pouvoir planter un clou dans
l’horloge pour que l’aiguille passe pus, ce serait-y merveilleux, non? L’eau
était claire et paisible, un vrai miroir. L’image de la montagne se reflétait
dans le lac sans aucune distorsion. Une vraie beauté. Une vraie carte-postale même. Les canards
sauvages faisaient presque pas de bruit. Je voyais juste une petite onde sur
l'eau quand ils se déplaçaient. »
« Tout à coup, j’ai vu un énorme poisson surgir de l’eau, gueule
grande ouverte, juste en dessous de la mère canard. Ça a fait un bruit
é-pou-van-table! L’espèce de monstre a bondi hors de l’eau comme une bouée qui
refait surface. Subitement prisonnière, la cane a gémi un long “kouac...".
Puis elle a tenté de battre de l'aile, sans succès. Les puissantes mâchoires
retenaient
une bonne partie du corps, dont une aile. J’ai vu la tête de la mère
canard se tourner vers ses petits, puis son cou s'est étiré au maximum, comme
si cela allait l'aider à se défaire de
cette impasse. »
« Sous la puissance de l'impact, seule la queue du monstre était
demeurée dans l’eau. Son corps fusiforme ne s'était même pas tordu ou plié. C’est
pas croyable le swing que ce poisson a pu se donner. L'animal aux dents acérées
s’est laissé tomber de tout son poids, entraînant sa nouvelle proie dans le
monde sous-marin. »
« On aurait juré qu’un météorite tombait à l'eau tellement ce point
du lac était devenu agité. C'est pas croyable l'eau qui a r'volé c'te fois-là!
Un énorme brochet ou un maskinongé qui
bouffe un canard de même, ça fait brasser des choses en dedans quand tu
vois ça! Ça prend tout un carnivore qui a l'esprit plus gros que la panse. Y
aurait pu se contenter d'un canardeau! »
« Pis après, pus rien. Le calme est revenu. Les canetons
tournaient en rond et cherchaient leur mère. Y tournaient en rond autour de
quelques plumes qui étaient remontées à la surface.
Les petits canards chantaient des notes fausses et criardes. Tu peux
pas savoir l'effet que ça m'a fait. Regarde, y sont tout seuls aujourd'hui. Y
s'promènent comme ça maintenant sans
leur mère. Sont beaux hein? C'est des orphelins. On dirait qu'y se
souviennent de l’endroit maudit. R’garde-les ben aller, tu vois, y restent au
bord à c't’heure. On dirait qu'y sentent le
« Moi c'est pareil. J’aime mieux être prudent…
J’me baigne pus… »
Daniel Lefaivre
Aucun commentaire:
Publier un commentaire