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Carole avait rencontré Jacques lors d'une excursion en montagne
et, même s'il lui avait paru un peu paresseux (à cause des nombreuses pauses
qu'il réclamait), elle s'était vite entichée
de cet homme qui avait aussi un grand sens de l'humour, mais
qui passait toujours pour « celui qui fait la gaffe ».
Au début de leur rencontre, se connaissant peu, chacun
proposait une activité à sa mesure. Carole voulait toujours dépenser une
énergie fébrile en invitant son compagnon à un sport essoufflant ou casse-cou. Mais
Jacques tentait désespérément de tempérer ses ardeurs en cherchant une façon
d'obtenir un peu de répit.
C'est de cette manière qu'est né leur premier compromis. Cette
balade en canot allait devenir un souvenir intarissable et personne dans le
couple ne se lassait de la raconter à qui voulait rire.
Par un beau jour de juillet, sur un petit lac calme, le
couple allait se payer une randonnée quelque peu saugrenue. Jacques se voyait
déjà, fleur de marguerite à la bouche, chapeau de paille, glissant doucement
sur l'eau et récitant des poèmes à sa dulcinée. Carole, elle, s'imaginait
plutôt en compétition, battant le rythme, défiant la chaleur, et allant
décrocher un
nouveau record de cardio. Comme quoi chacun avait l’imagination
débordante…
— J’ai une idée, lança Jacques avant de mettre le pied dans l'embarcation.
Puisque tu ne penses probablement pas comme moi sur la façon dont nous allons
faire notre balade, je te fais une proposition... Toi tu rames et moi je pêche
à la traîne! De toute façon, c'est toi qui diriges en canot, ma chérie...
— Ça me semble pas très honnête comme proposition, répondit
Carole méfiante...
Une fois dans l’embarcation, Jacques tentait de
convaincre sa douce des bienfaits de la rame et des plaisirs de la pêche. Il ne
se gênait pas pour lui donner quelques directives sur la route
et la vitesse à suivre.
— Stop! Mon leurre est accroché dans le fond, stop je
dis!
— Pas question, dit Carole, tu vas me faire briser ma cadence...
— Mais tu vas casser ma ligne, arrête ça tout de suite! Cria
Jacques, désespéré.
Carole arrêta le canot en appliquant la pagaie face
contre le courant.
— Va falloir faire demi-tour... impossible de décrocher
ça!
— Là, mon amoureux de la nature, ma tête de linotte huppée,
tu commences à jouer sérieusement avec mes nerfs! Comment veux-tu que j’établisse
mon record de vitesse si tu me fais revenir à la case départ?
Carole était furieuse. Elle cessa de pagayer. Jacques,
lui, ne se portait pas trop mal. Il proposa alors un nouveau marché.
— Voyons, ma chérie, profite de la nature qui s’offre à
toi, admire ces montagnes, aspire cet air pur, repose-toi! Tiens, moi je vais
piquer un petit somme, le temps qu'un poisson me réveille!
Carole allait éclater!
— Regarde comme les goélands sont beaux et gentils, poursuivit
Jacques. Lance-leur un peu de pain et tu te feras des amis. Prends un peu de
soleil. Fais comme moi, laisse le canot dériver, nous sommes si bien...
Carole n'avait plus tellement le choix. Ayant horreur des
scènes de ménage, elle allait donc devoir se plier aux exigences de son
paresseux de compagnon, sachant très bien qu'elle allait s'ennuyer, perdue sur
un lac à ne rien foutre. On ne la reprendrait plus.
Elle se moqua des paroles de Jacques en lançant des
morceaux de pain aux goélands qu'elle considérait comme de vulgaires
charognards.
— Venez, venez, mes
petits, dit-elle, venez manger le bon pain de ma tante Carole. Oh! Que c’est
beau la nature, les montagnes et l’air marin! Ah! Qu’on est bien à paresser
comme ça, à se faire rôtir la couenne... Venez, venez, les goélands, avec du
pain, vous allez devenir mes amis, c'est mon tchum qui le dit, venez, venez!
Jacques s'était allongé au fond du canot et goûtait
chaque seconde du bon temps qui passait. Carole persistait à manifester son
insatisfaction en communiquant avec la nature.
— Venez, venez, les « zoiseaux »! Bon, vous devez avoir assez bouffé pour être
mes amis, là? Alors vous allez me rendre un service, les « zoiseaux »,
vous allez voler en rase-mottes au-dessus de cette loque humaine et si vous
pouviez lui chier dans la face, ça le dégourdirait peut-être... et ça prouverait que vous êtes mes amis, les « zoiseaux »!
Jacques tentait de retenir un sourire. Il restait couché
au fond du canot et conservait un air moqueur malgré ses yeux clos. Carole
poursuivait son défoulement.
— Vous gênez pas, les « zoiseaux ». Attention,
à trois, vous obéissez! Un, deux... trois... larguez les bombes!
Sitôt dit, sitôt fait. Un goéland laissa tomber sa "bombe" avec précision, juste entre les deux yeux de Jacques. En s’éclatant, la fiente
s’était répandue sur une bonne partie du front et des cheveux de l’homme
allongé.
— Sacrament d’ostie
d’câlisse, qu’est-ce que t'as fait là? hurla
Jacques.
— Moi? Mais absolument rien, répondit Carole le rire aux lèvres.
— C’est de ta faute! T’as fait exprès! hurla Jacques avec
encore plus de force.
Carole avait mal au ventre et ses mâchoires se
«déboîtaient» tellement elle riait. Elle avait de la difficulté à croire à la
scène qui venait de se passer. Et pourtant, c’est bien ce qui arriva.
— C'est dégueulasse, cria Jacques. J’peux même pas ouvrir
les yeux, ça chauffe! Pis ça pue!
— Prends l’aviron, on va retourner au bord, dit Carole toujours
étouffée.
— Mais, j’vois rien...
— T’as juste à pagayer, lança Carole, occupe-toi pas du
reste... de toute façon, tu l’as dit, c’est moi qui dirige...
Daniel Lefaivre
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