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À la vue d'un orignal, il avait déjà failli faire chavirer le bateau,
comme ça, pour rien, juste parce qu'il était sur le gros nerf... Curieusement,
c’est toujours à ce genre d'individu qu’on s’en prend pour faire un coup
« pendable »!...
Et c’est ce qui lui arriva!
La table à dépecer (une pièce de contre-plaqué fixée à deux souches)
était située loin derrière le camp, en pleine forêt. Réal s'installait
tranquillement en sifflant des airs que personne ne
pouvait reconnaître. Tentait-il déjà de contenir sa peur de la noirceur,
ou appréhendait-il d'imminents dangers qui provenaient du boisé en sifflant de
la sorte? Sans doute. Sans doute.
Une petite ampoule électrique suspendue au bout d’un fil faisait office
d’éclairage et le peu de lumière diffusée créait une aura qui amplifiait
certaines ombres. La nervosité de Réal
était palpable et on comprenait clairement que son intention était de se
débarrasser de cette tâche le plus vite possible.
Et les chums connaissaient
bien les craintes de Réal. Et ce soir-là, ils n'allaient pas le manquer,
histoire de se foutre totalement de sa gueule.
Profitant du moment où Réal quittait l’installation rudimentaire pour
aller chercher les poissons laissés dans l'embarcation, Denis disparut dans la
forêt et se terra sous la table de travail. La noirceur aidant, il était facile
de le confonde avec le paysage. D'ailleurs, les herbes hautes entre les deux souches
qui servaient de pattes à la table permettaient un camouflage parfait. Richard,
Claude, Manon, Nicole et Luc observaient la scène, mine de rien, près du feu de
camp.
Réal revenait avec les chaînes à poissons. Il les déposa, prépara une
chaudière, rapprocha la poubelle et alluma la lanterne au propane afin
d’obtenir un éclairage suffisant. Denis restait immobile sous la table. De nombreux
insectes virevoltaient autour de la lumière et se rassemblaient sur le cou et
les mains de Réal qui faisait des gestes brusques pour s’en débarrasser. Une
fraîche senteur d'épinette aurait pu être appréciée, n’eussent été ces foutues bibittes
qui lui empoisonnaient l'existence. Réal écoutait les quelques bruits incongrus
qu'offre la forêt quand elle s'endort, et demeurait aux aguets.
Rapidement, la crainte s'empara de lui. Un animal féroce rôdait
peut-être dans les parages. Allait-il être surpris par une quelconque forme vivante?
Chose certaine, Réal allait accélérer le rythme. Il pensait même laisser les
plus petites perchaudes aux animaux, ce qui lui éviterait de
« fuckoyer » en tentant de faire des filets avec de si petits poissons.
Et il pouvait toujours prétexter que les « bebittes » l’avaient
empêché de terminer son travail...
Dans sa cachette, Denis, délicatement, tendit un bras entre les jambes
de Réal qui sifflait, toujours affairé qu'il
était. Subitement, dans un geste brusque et violent, il empoigna le
fond de culotte et le sexe de Réal en lâchant un horrible rugissement
qui n'était pas sans rappeler celui d'un loup-garou en colère! Réal éclata! Il
laissa échapper un épouvantable cri d’horreur, un hurlement qui s’entendait à
des milles à la ronde. Sous le choc, il se propulsa très haut dans les airs et
quand il retomba sur le derrière, ses pieds poussaient le sol comme un bébé qui
apprend à se reculer en position assise… On aurait aussi juré que les yeux
allaient lui sortir de la tête.
Puis Réal se releva et s’éloigna de quelques pas, comme pour mieux se
sortir de l'impasse. Il demeura consterné par l'effet de surprise. Denis pouffa
de rire et se frappa la tête contre la table en se relevant. Les autres
complices s'étaient déjà rapprochés pour ne rien manquer.
— Gang de maudits malades! lâcha Réal, enragé.
Pour toute réponse, il ne reçut que des rires qui se faisaient de plus
en plus intenses.
— Y m'a pogné la poche, l'ostie d'épais! C'est pas une farce à faire...
J’aurais pu me couper, gang de maudits malades! Cé même pas drôle... Maudit que
j’ai eu peur, vous vous rendez pas
compte?
Autour de Réal, on se bidonnait toujours en se tenant le ventre et en
se frappant les cuisses. On pouvait entendre :
« L'as-tu vu lever? »
« Y as-tu capoté à ton goût? »
«Y s'y attendait pas pantoute ! »
« Je l’ai jamais entendu crier
de même! »
« As-tu fait dans tes culottes? »...
Réal mit plusieurs jours à se remettre de ses émotions. Il sursautait
pour rien, au moindre bruit. Le séjour de pêche terminé, il demeura de longs
mois sans jamais adresser la parole aux camarades. Son mutisme signifiait la
fin d'une vieille amitié.
Puis, un soir de réconciliation, préparant une prochaine excursion de pêche
avec les chums, Réal les avisa :
— Je veux bien retourner à la pêche avec vous, mais faites ben
attention… Vous risquez d'y goûter, j'vas me reprendre, ça va être à mon tour.
Vous allez voir c'que cé de s'faire pogner la poche en pleine noirceur. J’vous
en passe un papier... Je vous jure, vous
allez être sur les nerfs tout le temps, vous avez pas idée de ce que je vous
prépare!
La suite très bientôt de cette insolite histoire de pêche!À suivre, une histoire inédite!
Daniel Lefaivre