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Réal s'était remis du mauvais coup qu'on lui avait servi et
conservait malgré tout un agréable
souvenir de son voyage de pêche avec ses amis.
Denis, qui avait planifié le bon tour, comme il disait, avait tourné la
page mais tentait encore de convaincre ses coéquipiers en justifiant que jouer
des tours fait partie de la dynamique humaine. « Qui aime bien châtie
bien » répétait-il à qui voulait bien l’écouter.
Claude et Manon étaient les plus discrets du groupe et les
plus introvertis. Claude prendrait place
avec Réal dans l’embarcation en aluminium, tandis que Manon allait accompagner
Denis dans la chaloupe de bois. D'un
commun accord, il fallait éviter que Réal et Denis se retrouvent dans la même
galère car on ne peut pas dire qu’ils avaient beaucoup d’atomes crochus. Il
valait mieux pour tout le monde que les duos soient formés d’avance. Rien de pire que de passer le week-end à
entendre deux lascars s’engueuler à longueur de journée sur des sujets aussi
anodins que sur la bonne longueur du bas de ligne à utiliser...
C’est donc dans une pourvoirie en Mauricie que nos amis
pêcheurs allaient passer ces quelques jours de pur bonheur dans la nature. Chacun avait de grandes ambitions secrètes,
mais tous avaient en commun ce sens de la compétition.
Mais certaines personnes étaient plus sur leur garde que d'autres. Par exemple, Denis se doutait bien que l'heure de la revanche allait sonner, tôt ou tard. Il lui était impossible de déduire si quelque chose allait se passer aujourd’hui plutôt que demain. Un vent de mystère planait doucement en cette belle journée d’été.
On avait remarqué que Réal faisait souvent des pas rapides
aux alentours des bécosses et de la douche extérieure en dissimulant quelque
chose. Denis l'avait vu fouillant dans
un coffre de pêche qui ne lui appartenait pas.
Manon suspectait le comportement parfois étrange de Réal qui
réapparaissait spontanément dans le groupe alors qu’on n’avait même pas
remarqué son absence. Les rumeurs
commençaient à se frayer un chemin parmi le chant des criquets et des
grenouilles, le soir venu. Il se préparait quelque chose, c'était certain. Une revanche ou une vengeance?
Ça sentait le mauvais coup!
Mais personne n'avait de preuve ni de doute raisonnable basé
sur une observation précise...
C’était peut-être ça, le tour. Susciter suffisamment de doute pour que tous
les pêcheurs se sentent constamment en équilibre sur une corde raide?
Au matin, à une heure plus que paresseuse, les amis se
préparaient à partir en expédition quand deux agents de la faune firent
irruption.
Deux solides gaillards, qui n'avaient pas l'air de vouloir
fraterniser et qui avaient un sourire de bœufs.
Un des deux pointa du doigt Réal en l'invectivant:
-toi, tes papiers!
Tremblant, Réal fouilla dans son porte-monnaie afin d'y
trouver tous les papiers qu'on lui demandait.
L'important, il le savait, était de ne pas contrarier ces messieurs qui
n'avaient pas envie de rire.
-Voilà dit-il, je crois que tout y est...
-Vous savez que vous êtes dans une zone où il est interdit
de pêcher avec des vers de terre?
-Euh, je n'étais pas au courant, mais je n'en ai pas sur
moi...
-Ne joue pas au plus fin avec nous, toi, oui toi aussi, tes
papiers, demanda l'agent à Denis.
-Je suis en règle c'est certain, de répondre Denis.
-C'est votre embarcation? demanda l'agent encore à Denis.
-Oui oui, ben c'est celle de la Sepaq, mais c'est mon
équipement qui est là...sauf pour les vers, c'est Réal qui les a mis dans la
chaloupe je crois...
-méchant pissou lui lâcha Réal, oui c'est moi qui ai acheté
les vers, vous voulez voir ma facture?
C'est aussi moi qui ai placé les vers dans la chaloupe, bon, pis après,
ça ne fais pas quelqu'un en possession de vers hors de tout doute...
-Toute personne en possession de vers de terre est passible
d'une amende pouvant aller jusqu'à un maximum de 500$ pour une première
offense, dit l'agent. Les vers, ça
contamine les lacs, vous êtes pas au courant? Tous les deux, veuillez ouvrir
votre coffre de pêche s'il vous plaît.
-Y a peut-être un malentendu, poursuiva Réal en ouvrant son
coffre, bon d'accord j'ai quelques hameçons et quelques plombs mais ça ne
prouve pas que j'avais l'intention de pêcher avec des vers.
-Ne m’obligez pas à vous passer les menottes, affirma
l'agent de la faune à Réal qui était tout blême, au point où on croyait qu'il
allait s'évanouir.
-Me semble que vous y aller un peu fort, rouspéta Denis, on
a des droits vous savez?
-Placez vos mains sur le toit de la camionnette, jambes
écartées svp, lança l'agent à Denis qui, lui aussi, trouvait que la situation
était totalement ridicule, on pouvait certainement s’entendre, non?
-Quoi? Ça va pas non?
lâcha Denis, je ne me laisserai pas faire de même!
-Vos mains sur le toit et vos gueules!
La situation se corsait, c'est le moins qu'on puisse
dire! Réal allait bientôt faire dans ses
culottes et pèter une autre crise d'angoisse, tandis que Denis, les mâchoires
serrés, se jurait que ces deux agents allaient lui payer ça. Il allait appeler son avocat à la première
occasion!
Denis obtempéra et demeurait stable, les mains sur le toit,
jambes écartées, tandis que Réal, figé par la peur, craignant les menottes,
fixait des yeux son coffre de pêche qu'il tenait toujours. Le deuxième agent s'approcha du coffre de
Denis pour le scruter plus à fond.
-Hum, il n'y a que des accessoires pour pêcher avec des vers
dans votre coffre, monsieur. Il n'y a
même pas une cuillère ou un devon!
-Qu'est-ce que vous dites? Hurla Denis, je rêve! Y a quelqu'un qui a fouillé dans mon coffre,
c'est impossible, je veux parler à mon avocat!
Je haïs la pêche au vers!
-Vous êtes en état d'arrestation, monsieur, à partir de
maintenant, tout ce que vous dites pourra être retenu contre vous. On va vous lire vos droits. Les frais
encourus pour votre voyage de pêche ne pourront être ni réclamé, ni remboursé.
-Comment? Comment?
Vous m'arrêtez? Et les autres?
-Nous avons suffisamment de preuves pour vous arrêter, vous
d'abord, pour les autres on verra ensuite. Tu peux lui lire ses droits? demanda
l'agent à son collègue.
-Ouais dit l'autre agent, mais avant je dois procéder à la
fouille du suspect...
L'agent fouilla Denis comme on le voit dans les films,
partant du haut, les poignets, le cou, le dos, la poitrine, afin de s'assurer
qu'aucun objets illicites ne soient dissimulés dans ses vêtements.
Les mains de l'agent se promenaient partout sur le corps de
Denis, toujours accoté sur le véhicule, jambes écartées, comme un voleur de bas
étage.
Manon dit à voix basse:
-Ça va mal finir c'histoire-là, voyons donc, Denis n'est pas
un bandit!
Puis elle marmonna :
-Encore moins un braconnier, renchérit-elle...
Puis l'agent fouilleur passa sa main dans le califourchon de
Denis et dans un mouvement brusque et sec, il lui empoigna l'entre jambe en criant
soudainement:
-J'ai quelque chose!
Sous le choc Denis sursauta en laissant les mains sur le
toit du véhicule tout en lâchant un abominable cri de stupéfaction. La situation était intenable et l'intensité
de la fouille faisait paniquer tout le groupe.
-T'a trouvé quelque chose? demanda l'agent.
-Non, finalement je croyais avoir trouvé une cachette à
vers...mais j'ai juste trouvé un petit asticot...lâcha l’agent avec un sourire
en coin.
-Hé, jura Denis à ses copains, il m'a poigné la poche l’Ostie! Y a pas le droit de faire ça!
Réal alla puiser tout ce qui lui restait de courage pour
prononcer ces quelques mots :
-Messieurs, il doit y avoir un malentendu…
-Ta gueule toi, on t’a sonné?
C’était la consternation. Comment des agents de protection
de la faune pouvaient-ils se comporter de la sorte? Le week-end de pêche était vraiment foutu, à
l'eau, et jamais on allait se remettre d'un tel malheureux événement.
-Bon maintenant tu peux lui lire ses droits, lâcha l'agent à
son collègue.
-Votre nom?
-Denis…
-Denis, vous êtes criminellement responsable d'avoir poigné
la poche à Réal et de lui avoir fait faire un saut de trois mètres en faisant une mauvaise blague
lors de votre dernier voyage de pêche.
On entendit Claude et Manon éclater de rire. Réal esquiva un malicieux sourire, tandis que
Denis tentait de réaliser ce qu'il venait d'entendre.
-Quoi? C'est une blague? Est pas drôle votre farce,
lâcha-t-il, vexé de s'être fait prendre au piège.
Réal se bidonnait, il riait à chaudes larmes et ne cachait
pas sa fierté!
-Je te l'avais dit qu'un jour, ce serait ma revanche. Tu
vois Denis, t'as mordu à l'hameçon! Je
te présente deux bons amis à moi qui ne sont pas plus agents de protection que
moi, mais qui logent au chalet juste à côté.
Je prépare ce coup depuis longtemps! Les uniformes ont été loués dans
une boutique de costumes...pis ces gars-là sont des comédiens extraordinaires!
À leur place, j’aurais pas tenu, comment ils ont fait pour pas éclater de
rire?
-Laisse-moi le temps de me remettre de mes émotions, soupira
Denis…
-Prends tout le temps que tu veux, lui répondit Réal, en
attendant je vous offre du café, il est prêt, ensuite on ira pêcher! Ah j’oubliais, je vous présente mes deux
amis…