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Mais l'occasion se présente et les deux
hommes d'affaires se laissent séduire par la beauté du site, et surtout par le
prestigieux terrain de golf qui domine la Vallée. Après tout, quelques
heures sur le lac ne les empêcheraient
pas de jouer au golf demain, encore une fois... Et puis le
« vendeur » avait l'air
d'insister, alors il ne fallait pas le vexer. Eux, Germain et Raymond,
étaient les « clients V.I.P »
qui se faisaient gâter par cet important représentant qui avait bien
l’intention de poursuivre cette lucrative relation d’affaires. Ils s'offraient
un long week-end
« sur le bras du représentant »,
alors autant en profiter... « Prenez mes lignes, prenez tout mon
équipement, ça vous fera du bien », disait le vendeur. Hier vous avez joué
au golf, aujourd'hui vous ferez un peu de pêche, ce soir ce sera un souper
gastronomique et demain je vous réserve une petite balade en hélicoptère pour
que vous puissiez admirer la région, avant votre autre partie de golf. »
Le vendeur traitait ses hôtes avec soin.
Va pour la pêche. Germain s'y connaissait un peu, Raymond pas du tout. Et Raymond
éprouvait énormément de difficulté à manier la canne et à coordonner ses
mouvements afin d'obtenir de bons lancers.
— Dis-moi donc, Raymond, les femmes au
bureau disent que tu portes une perruque, c’est pas vrai hein? Demanda Germain
avec un petit rire moqueur.
— À vaut pas d'la marde sa canne à
pêche! S’exclama Raymond.
— Ben non, répliqua Germain, c'est parce
que t'as pas le tour.
— R' garde la poulie, la corde est toute
mêlée dedans! Lança à nouveau Raymond.
— C'est pas une poulie, c’est un
moulinet, expliqua Germain. Va-t-il falloir que je fasse comme au bureau, que j't'explique
tout ce que tu dois faire? Pêcher, c'est
pourtant pas compliqué...
— Hé là! Un peu de respect pour ton
supérieur, gueula Raymond, c'est pas parce qu’on est dans la nature que tu peux
te défouler de même! R'garde, à lance pas sa maudite canne...
— Plie plus ton poignet, expliqua
Germain. Non, pas comme ça, tu vas me l'envoyer dans face!
— Veux-tu ben m'dire comment ça marche
c'te patente à gosse? demanda Raymond, visiblement irrité.
— Enlève ton doigt... non, pas celui-là.
Tiens ton manche par en haut, non! Défais le nœud là, passe dans la boucle...
— Bon, cé tout pogné en haut d'la ligne
à c’t’heure... vociféra Raymond, au bord de la crise de nerfs.
— Han! Ça mord! dit Germain.
— C'est pas juste, pleurnicha Raymond.
— C’est bizarre, ça tire pus. Mais ma
ligne est pliée!
— J'te gage que té pris dans un tuyau d’égout...
commenta Raymond.
— Ça s'en vient, ça s'en vient, m’en va
le savoir tout d’suite, dit Germain. C'est plutôt bizarre un poisson qui tire
pas. Non? Que cé ça? Hein!
Les deux hommes n'en croyaient pas leurs
yeux. L'hameçon de Germain s'était planté sur un objet inusité. Un bâton de golf, presque neuf, venait d'être repêché.
— Ben si cé ça la pêche, dit Raymond, j’aime
autant laisser faire... pis continuer à jouer au golf. Ça ressemble pas aux poissons
qu'on nous montrait à p'tite école!
— Ça va mordre, décourage-toi pas... fit
observer Germain d'un ton calme et rassurant.
— Cou ’donc, tu me niaises-tu? Riposta Raymond. Toi, ta maudite ligne, à
marche, tu sors un bâton de golf de j'sais pas où, pis tu restes calme! Y a
sûrement une caméra de cachée
quelque part, cé une sorte d'insolence
que tu me prépares, hein? Ben ça pogne pas avec moi ça, cé tu clair?
— Les nerfs... tenta Germain.
— Parle-moi pas sur ce ton, j'te l'ai
déjà dit! M'a t’crisser dehors, ch'capable, tsé! Ah, Pis c’est assez. On s’en
va. J’en ai jusque-là de me faire venter.
Au même instant, toujours empêtrer avec sa canne qui lui
faucha la tête, aidé par une rafale qui agita le plan d’eau, Raymond senti sa
perruque se soulever et la vit se
projeter dans l’eau…
— Ben voyons. Té donc ben nerveux,
choque-toi pas pour...
— Ah! cria Raymond. Ma perruque,
rajouta-t-il tout bas?
Devant un tel spectacle, Germain
s'étouffait de rire. Il profita du moment pour se rappeler que les femmes du
bureau avaient raison, le patron portait une perruque et ne tenait pas à
ébruiter la nouvelle. Après avoir bien
rigolé, Germain était prêt à donner un coup de main pour repêcher « l'épave ».
— Ben oui, y a de quoi rire, moi je
pêche un bâton de golf et toi, une perruque! Attends que j’raconte ça, y vont
se tordre en deux! ajouta Germain avec un reste de rire.
— C’est pas une perruque, c’est une
prothèse…
— Appelle ça comme tu veux…
Raymond aurait eu besoin d'une soupape
de sécurité pour faire évacuer toute la colère accumulée au visage. La vapeur allait
bientôt lui sortir par les oreilles... Il gardait un visage bleu
et un regard froid. Il ne tenait pas à
ce qu’on sache qu'il portait une...
C’était son secret. Même si tout le monde s’en doutait…
— Bon d'accord, perds-la pas de vue, dit
Germain, j'vais ramer. Destination la touffe!
— Une chance qu'à flotte, risqua Raymond
péniblement.
Germain ramait avec une curieuse
cadence. Un coup pour la rame, un coup pour se tenir le ventre. Il disait :
— J'te reconnais pas! Ça change quelqu’un,
pas de cheveux!
La perruque imbibée ne ressemblait plus
qu'à une grosse motte de poils qui dérivait au hasard du courant. Cela
ressemblait à une anémone dont seule la tête apparaissait à la surface.
Rendu à proximité de la perruque,
Raymond s'étira pour saisir sa coiffe si précieuse. Mais, à cet instant, une
énorme truite surgit du fond de l'eau pour sauter sauvagement sur la touffe de
poils! Le poisson, croyant gober une
mouche géante ou un rongeur poilu, s’était élancé de toutes ses forces vers ce
qu’il croyait être un mets de choix...
— Ma...Ma… perru… pleurnicha Raymond
tout à fait décontenancé par les événements.
Après quelques minutes de vociférations
de la part de Raymond, dans un langage que nous devons censurer...
— Ta... Ta... Ta moumoute, fit observer
Germain, est remontée à la surface. La truite a compris que ça se mangeait pas!
On va pouvoir la repêcher!
— Pis à va avoir l’air de quoi, ma perruque?
demanda Raymond, peu optimiste, lui qui se voyait déjà devant le vendeur, obligé
d'inventer quelques excuses!
Raymond savait qu'il se retrouverait
devant le représentant avec pas plus de deux possibilités. La première, Raymond
chauve, Raymond devenu subitement chauve. La deuxième, Raymond échevelé,
Raymond échevelé et détrempé uniquement de la tête avec une coiffe écrapoutie.
Raymond avec une moumoute à moitié bouffée par un poisson. Et pas d'excuses en
perspective...à moins de trouver une casquette au plus vite.
— Passe-moi le bâton de golf, demanda
subitement Raymond.
— Pour quoi faire? répliqua Germain.
— Pour te démolir le portrait! gueula
Raymond au bord de la dépression. Cé toé qui as monté ce
coup-là, voyons donc, voir si un poisson va sauter sur une moumoute, sur une
perruque, ça pas
d'allure!
— Ben t'as pourtant vu comme moi! Je l’ai
pas apprivoisé la truite! Faut pas t'en prendre à moi...
Devant la dépression nerveuse, le
découragement et la rage au cœur de son compagnon, Germain se ravisa et rassura
le chauve :
— D'accord, je conterai pas ça au
bureau. Juré, craché.
Raymond semblait rassuré. Il en avait
grand besoin.
— J’ai le goût de te remercier, dit-il.
Et Germain de rajouter :
— Mais dans un bureau, tout finit par se
savoir...
Daniel Lefaivre