Nous avions
pris plus d’une heure pour gonfler notre embarcation pneumatique. Des
difficultés techniques nous obligèrent à sacrifier notre précieux temps de
pêche pour venir à bout d'une valve brisée. Cela était d'autant plus dramatique
que nous allions tenter notre chance dans une étroite rivière où nous aurions
pu nous adonner à notre sport en pêchant à gué, n’eussent été ces foutus herbes
et buissons qui poussaient à hauteur d’homme et qui continuaient de croître
très loin dans l’eau. Une fois réparée, notre grosse Bertha, comme mon frère l’avait
baptisée, était à l’eau, attachée aux buissons par des cordages.
Nous avions
remarqué que le poids du bateau avait considérablement écrasé la végétation,
laissant comme l’empreinte d'un vaisseau spatial qui se serait posé sur l’herbe
folle.
Nous étions
installés sur les flotteurs de notre embarcation, presque adossés aux buissons,
quand nous avons surpris une conversation :
— Eh! Le
beau-frère, viens voir ça! Qu’est-ce qui a pu taper l’herbe comme ça?
— Ho là là! dit l’autre.
Ça, mon gars, c’est un orignal qui est venu passer la nuit ici.
— T’es
certain, papa? demanda une fillette.
Elle avait
une toute petite voix et le ton qu’elle utilisait semblait démontrer qu’elle en
connaissait plus sur la nature que son citadin de papa.
— Bien sûr,
pour moi, c’t’un gros buck! Regarde comme il faut, on va voir des traces ou des
pistes...
La fillette
ne semblait pas convaincue pour autant.
— T’es bien sûr,
papa? Me semble qu’un orignal, même étendu de tout son long, ne fait pas cinq
mètres de long et deux mètres de largeur, avec les coins arrondis...
— Ça, ma
fille c’est l’orignal, c’est le buck qui dort en petite boule comme un chien et
qui se déploie durant son sommeil, dit le père en cherchant des pistes
fraîches.
— Mais où
est-ce que t’as appris ça, le beau-frère? Demanda l’autre. Me semble que t’exagères.
Ta fille a
raison, tu trouves pas que la végétation est écrasée de façon un peu trop… précise?
— Vous
connaissez rien aux animaux sauvages. La preuve est là, devant vous, et c’est
pas suffisant? Je vous dis que du foin tapé comme ça, y a qu’un orignal pour
faire ça... et puis il a beau manger couché avec toutes ces herbes... Je vais
finir par trouver des crottes… Tiens, venez voir, là...
— Où ça?
— Juste là,
c'est quoi ça? Hein! Des traces d’orignal toutes fraîches...
— Je vois
rien, répliqua l’autre, absolument rien...
La fillette
s’était rapprochée du cours d’eau, empruntant l’étroit sentier que nous venions
de former pour y déposer notre embarcation. Elle nous aperçut et nous
communiqua son air moqueur.
— Regarde
bien ici, quand l’herbe est cassée de cette façon, y a pas de doute, fais-moi
confiance... disait toujours le beau-frère.
— Eh! papa,
viens voir, l’orignal est dans l’eau!
— Tu vois
ce que je te disais, lança le beau-frère, heureux de ses expectatives... Mais
attention, ma fille, c’est dangereux, ça mord un buck, ne t’approche pas trop!
Quand le
type allongea la tête et qu’il nous aperçut, bien installés dans notre grosse
Bertha jaune, il comprit instantanément ce qui était maintenant la cause des
herbes ainsi couchées. Il comprit aussi que nous n’avions pas manqué la moindre
de ses paroles… Il chuchota, comme pour se convaincre lui-même :
— Ah! C’est
très drôle… pourtant…
La fillette
et son oncle rirent à s’en rouler par terre. Elle nous demanda, en regardant
son père :
— eh! Messieurs,
vous n’auriez pas vu passer un orignal, par hasard?...
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Parlons pêche
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Daniel LefaivreLes plus folles histoires de pêche du Québec
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