Dans ce blogue sur la pêche, je me demande, et je crois y répondre, s'il est toujours nécessaire de performer à la pêche, comme si nous devions constamment être en compétition avec nous-même et les autres!
-Dépêche-toi, on va être en retard !
-Dépêche-toi, on va être en retard !
-Pas besoin, les poissons vont nous attendre… On est tout seul sur ce quai, et on voit bien
que personne n’est passé ici, il n’y a
aucune trace de pas sur le bois mouillé par la rosée du matin…
-T’as rien compris, y a plein d’autres descentes de bateau
dans le coin et je veux être le premier au bon spot !
-Ouille, on n’est pas sortis du bois…pis on n’est pas rendu non
plus! Faut faire le plein, vider la
chaloupe, monter les lignes, bien placer tout notre attirail, se badigeonner de
chasse-moustiques, pis y faut que ton moteur puisse démarrer rapidement, ce
dont je doute... Moi je te suggère de
prendre ça comme ça vient…
- Et pourquoi t’as
déposé les cannes ici, je viens de
casser un anneau en marchant dessus….Non mais t’es déjà venu à la pêche ou quoi
?
-Désolé, euh… c’est parce que c’est toi que m’a demandé de
les laisser par terre, moi je voulais les placer dans l’embarcation…
-Dépêche-toi, j’te dis, on
réparera ça en chemin, on n’a pas
une minute à perdre, vite va chercher le reste des bagages dans l’auto, le
temps que je démarre mon Ostie de moteur…
Pis dépêche-toi, vas-y au pas de course !
-Un instant, j’suis pas
venu à la pêche pour me stresser de même ! On est venu à la pêche pour pratiquer une activité
supposément relaxante…On dirait que tu agis comme si tu étais au bureau, pis que t’as un gros rapport à remettre ! Là, tu t’énerves comme si tu étais coincé dans un bouchon de
circulation, tu es stressé comme ça se peut pas ! Détends-toi un peu…
-Si tu me cherches, tu vas me trouver, j’ai des objectifs
moé, pas n’importe lesquels, je me suis mis dans la tête que je revenais avec
ma limite, pis rien en bas de trois livres par-dessus le marché! Pis comme t’es pas un pêcheur très…
comment je dirais ça pour pas trop t’insulter, comme t’es pas un pêcheur très
« performant », je vais même pêcher sur ta limite…s’tu clair ça? Alors j’ai pas une seconde à perdre !!!
-Ben là, t’as des mauvaises vibrations, les poissons vont le
sentir ! Si t’es venu à la pêche pour te
choquer, t’as pas choisi la bonne place, ni la bonne activité !!!
-Laisse faire !
J’vais te montrer c’est quoi un vrai pêcheur, pis quand je vais revenir
au bord de l’eau, les gens vont voir de quoi je suis capable, je suis quelqu’un
de fier moi, pas un looser !
-Tu vas revenir au bord de l’eau ou au bord de la
dépression?
-T’as rien compris, essaie pas de faire des jokes plates, je
suis un battant, un gagnant, un champion quoi !
Et je prends les moyens qu’il faut pour gagner, point final !
-Mais pour gagner quoi ?
On n’est même pas dans un tournoi !
On est juste venu passer une belle journée de plein air…
-Passe-moi le tournevis, mon (…≠…‽…ø…!...) de moteur veut pas démarrer…
Nous avons tous déjà
vécu ce genre de situation qui illustre que la frustration et la colère
volent parfois la vedette à la félicité!
Et le principal coupable de ces états émotifs s’appelle : la
performance ! Le souci de la performance
à tout prix peut nous déboussoler au point d’en oublier tout plaisir et
passion, tout comme dans cette caricature où notre personnage fictif ne vise
rien d’autre qu’un objectif élevé !
Si on fait face à des problèmes techniques, comme un moteur
en panne, il est légitime d’être déçu et embêté, particulièrement lorsque la journée de pêche tombe à l’eau ! Mais outre ce genre de situation, l’attitude à adopter à la pêche devrait
toujours en être une d’émerveillement, ce qui n’est pas toujours le cas !
C’est arrivé trop souvent.
Peur d’arriver en retard, angoissé à l’idée de ne pas être seul sur le
plan d’eau, crainte de ne pas prendre ma limite, pire encore, peur de revenir
bredouille, trop nerveux pour prendre le
temps d’observer quel serait le meilleur
leurre puisque mes lignes sont montées la veille (grave erreur !), pas le temps
de prendre des photos ou d’apporter mes jumelles, impoli avec l’employé de la
SÉPAQ qui ne trouve pas mon lac et voici le top du palmarès du comportement du
pêcheur « performant » : l’insatisfaction, l’insatisfaction sur toute la ligne ! Voilà autant d’éléments qui contribuent à une
mauvaise attitude et à renforcer ces sentiments de frustration et d’impatience.
Et vous ? Vous est-il déjà arrivé de revenir de la pêche
insatisfait? Bien sûr que oui… Non pas que vous avez fait une mauvaise
pêche, mais bien parce que vos attentes étaient aussi grosses que les prises
dont vous rêviez. Vous avez pris presque
votre limite permise, mais voilà que vous n’êtes pas content, que votre humeur
n’est pas celui de quelqu’un qui revient de la pêche! Auriez-vous confondu désir et réalité? Pourtant cette journée s’annonçait fort
prometteuse et voilà que le bilan que vous en faite est plutôt terne. Car il ya un hic… Vous venez de passer une journée
« moyenne », on ne peut pas dire qu’elle a été mauvaise et vous
ressentez toutefois une étrange sensation de frustration et d’impuissance. Vous vous efforcez d’en garder un bon
souvenir, avec des poissons dans la
glacière, mais il vous reste ce petit goût amer qui remonte à la surface :
vous n’avez pas performé! Tous les
autres pêcheurs ont fait une plus belle pêche que vous et vous n’avez pas osé
exhiber vos prises tellement vous étiez gêné…
Et toutes ces images de poissons trophées qui vous ont
envahies durant l’hiver, toutes ces vidéos de professionnels qui capturent des
monstres un après l’autre, toutes ces situations de pêche idéales, vous les
avez gravées dans votre mémoire au point d’être convaincu que cela devait obligatoirement
être à votre tour.
Et bien peut-être devrez-vous retomber sur terre et admettre
qu’il est statistiquement probable que vous viviez des jours « ordinaires »
sur le plan de la « performance », mais que vous aurez en
revanche des moments extraordinaires
pour la qualité du temps que vous aurez passés avec une canne à pêche dans les
mains. Et que dire du simple plaisir
d’être sur l’eau !
À mon retour du parc de la rivière Doncaster, Martin qui
m’avait gentiment accueilli le matin m’a demandé si j’avais passé une belle journée, avant
même de savoir si la pêche avait été
bonne. J’ai été surpris de sa question
tellement j’étais concentré à penser pêche-pêche-pêche!
C’est là tout l’essentiel du bonheur de pêcher, quand ça ne
mord pas, quand on a affaire à des truites moqueuses, il faut se poser la
question : « Est-ce que je suis en train de passer une belle journée ? » Quand la réponse est « non», c’est que
le désir insatiable de performance est en train de vous dévorer plus fortement
que les moustiques !
J’ai déjà gâché une bonne partie de ma journée parce que
j’avais perdu une prise record à la dernière seconde. Je vous le concède, un juron ou deux
contribuent à soulager ce type de frustration, ou du moins, à exprimer son désarroi ! Mais comment se
fait-il qu’à la télé, les pros arborent un large sourire, éclatent de rire et ont visiblement un
plaisir fou, même quand le
poisson-trophée brise tout? Pas parce
qu’on est à la télé, ils n’avaient qu’à retirer ce segment au montage. C’est parce qu’ils savent que ce ne sera pas
leur dernier poisson et qu’en plus, ils ont compris l’importance d’avoir la
meilleure attitude positive possible, celle de s’amuser !
Ou encore cette fois
où j’ai voulu faire mon « frais » en sortant mon doré de huit livres
du vivier pour le montrer fièrement à des amis qui passaient à proximité de mon
embarcation. Il était tellement
fringuant qu’il m’a glissé des mains pour sitôt retomber à l’eau, tout juste entre
les deux bateaux où seulement un mètre nous séparait ! J’entends encore Roger Gladu me dire en riant
avec éclat « Ah c’est donc ça qu’on appelle pratiquer la remise à l’eau ! »
L’avantage avec cette
mésaventure, et c’est bien comme ça qu’on se doit de réagir, c’est que même
après plusieurs années, Roger s’en souvient comme si c’était hier et raconte encore aujourd’hui en
souriant à qui veut l’entendre que je suis le précurseur de la remise à l’eau
! C’est souvent comme ça qu’une
expérience négative se transforme parfois en anecdote cocasse et en souvenir
impérissable ! Comme quoi nos mauvaises
expériences de pêche peuvent se transformer en histoire à raconter, pourvu
qu’on ait laissé la volonté de performance dans le coffre à pêche et qu’on ait
fait provision d’une bonne quantité d’humour avant de partir !
Thierry Rimbault, guide de pêche professionnel à la
pourvoirie du lac Saint-Pierre, me disait justement que ce qui fait un bon
pêcheur, c’est la constance. Pas un
trophée un jour et plus rien par la suite.
Or cette régularité s’obtient en adoptant deux attitudes. La confiance en soi et la fébrilité
contrôlée. En d’autres mots, il faut
apprendre à se savoir heureux et détendu.
C’est de cette façon qu’on devient en plein contrôle de ses capacités
.
Laissons la performance aux sportifs professionnels, aux
olympiens, aux marques de moteurs hors bord, aux champions de tournois et aux
guides et partons à la pêche avec comme
seul objectif réel et sincère d’avoir du bon temps en vivant notre passion !
Et curieusement, c’est souvent en adoptant cette attitude que tout se met à bien
fonctionner…et à mordre !
Dans notre société, nous sommes toujours en train de courir,
de rentabiliser l’espace et le temps, toujours à satisfaire aux exigences du
milieu du travail, aux multiples normes, aux obligations sociales et familiales… Vous n’êtes pas tannés des fois? Et quand vient enfin ce moment tant attendu
de reprendre contact avec la nature, avec le silence bruyant de cette cascade,
avec ce léger clapotis qui vous berce et vous envoûte, n’avez-vous pas envie de
jeter à la mer votre portable et votre cellulaire? Au fait, pourquoi les auriez-vous apportés
avec vous?
Il faut savoir prendre le temps, celui qui vous permet
d’apprécier chaque seconde qui passe trop vite,
celui de savourer le moment présent, tout en laissant de côté cette
performance de tous les instants qui, même à la pêche, nous fait passer parfois
à côté de notre passion. Il faut savoir
revenir à la base et être en mesure d’apprécier le simple fait d’être à la
pêche!
Si vous revenez bredouille ou que la journée ou votre voyage ne s’est pas passé comme
prévu, sachez qu’aucun public ne vous jugera, aucun spectateur n’observera
votre performance, aucun journaliste ne commentera vos moindres gestes en
première page et que vous ne recevrez pas de boni à la performance ! Vous êtes un passionné de pêche et au fond,
c’est tout ce qui compte, vous êtes passionnés aussi parce que des expériences
positives vous permettent de vouloir répéter ces moments agréables et que les
résultats, statistiquement, prouvent que votre moyenne, après tout, est excellente!
Alors quand le poisson boude et qu’aucun leurre ne
fonctionne, car cela peut arriver, c’est à ces moments qu’il faut, non pas
trouver toutes les excuses possibles et imaginables, mais bien de réaliser la
chance qu’on a d’être à la pêche plutôt qu’au boulot ou en train de faire une
tâche nécessaire du quotidien! C’est pour ça que j’ai toujours
affirmé :
Vaut mieux une mauvaise journée de pêche qu’une bonne journée de
travail !!!!
L’Impatience, la colère, l’envie et la mauvaise humeur n’ont
pas leur place à la pêche ! Il est bon
de se le rappeler de temps en temps. Il
est bon aussi de relativiser certaines situations désagréables en les
transformant avec le temps en péripéties amusantes.
Il nous est facile d’imaginer un classique de la frustration
avec ce golfeur qui plie son bâton en le fracassant contre sa cuisse!
J’ai déjà croisé dans ma vie au moins deux golfeurs qui m’avaient
confiés avoir ralenti de beaucoup leur sport préféré durant une saison complète
parce qu’ils n’arrivaient plus à reconquérir le plaisir naïf et le bonheur de se retrouver
sur un parcours de golf. Humer les
parfums de l’herbe coupée, admirer la couleur des verts, apprécier les paysages, les bons rapports
avec ses coéquipiers, tout ces éléments positifs avaient disparus de leur perception sensorielle. Ils
n’avaient qu’une idée en tête, la performance!
Ils commençaient leur journée stressés et la terminaient déçus… Pourtant ces golfeurs se souvenaient des
belles émotions du passé et cherchaient à les revivre.
Par chance, Je n’ai jamais vu un pêcheur briser sa canne en la frappant
sur sa cuisse! Et je ne connais aucun pêcheur
en « sabbatique » pour cause de stress intense ! Mais le golf est un sport et la pêche un
loisir, c’est là que s’arrête la comparaison.
Par contre, j’ai vu souvent des pêcheurs qui ne savaient plus apprécier le
simple fait de vivre les joies du plein air, qui avaient « oubliés » de s’émerveiller
devant la nature et surtout qui ne
savaient plus mesurer le privilège
qu’ils avaient de pouvoir vivre de telles journées !
Comme le propre de cette activité consiste à vivre une
grande part d’inconnu, j’ai pris l’habitude de prendre une photo des copains juste
avant le départ pour la pêche. De cette
façon, même sans poisson à montrer fièrement au retour, si jamais cela se
produisait, j’ai en main une image qui raconte une belle histoire, celle de la
fois où, tu te souviens, le moteur ne
voulait pas démarrer…
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