Nous devions être les hôtes d'amis français lors de leur première visite
au Québec. Après l'éternelle visite à la cabane à sucre et la présentation des
oreilles de christ, des pets de sœur
et de la tarte à la farlouche, nous avions préparé une petite partie de
pêche tout ce qu'il y a de plus « exotique » dans l'espoir d’en mettre
plein la vue à nos charmants cousins français.
Bien sûr, nous leur avions vanté les mérites de nos forêts, sans
omettre la profusion d'animaux sauvages et extrêmement dangereux dont il
fallait toujours se méfier. Tous les clichés y avaient passé : les flèches
des Amérindiens, le cri du loup, le doré dans le sirop d'érable, les cabanes en
bois rond et les poissons géants qui hantaient le lac. Eux-mêmes nous avaient
déjà mentionné que nos poissons sont tellement gros, ici en Amérique, qu’on est
obligé de les mesurer en « inches »…
Nous leur avons aussi expliqué comment il fallait s'y prendre pour ne
pas se perdre en forêt (même si pas un de nous ne savait manier la boussole!),
comment se faire de la soupe avec de l’écorce de bouleau et comment se faire un
téléphone d'urgence avec deux boîtes de conserve reliées à une corde...
Nous avions déniché un vrai « camp » fait de billots de bois,
qu'un beau-frère nous avait gentiment prêté pour l'occasion. Pour nous y
rendre, il fallait compter quatre heures de voiture sur la route pavée et une
heure de marche avec portage du bagage dans un étroit sentier. Nous espérions
bien que la distance et la grandeur du territoire allaient les impressionner et
souhaitions que nos hôtes ne découvrent pas la route de campagne qui passait à quelques
pas du camp!...
Histoire de nous amuser et toujours dans le but de «péter de la
broue››, j'avais installé un panneau routier dans le passage étroit de la
rivière. La gratte de l'hiver avait fauché un panneau
de signalisation en forme de losange où était illustré un orignal.
C'est à la vue de ce panneau que m'était venue l'idée de gonfler quelque peu la
réalité...
Nous déplacions encore les trois canots, dans notre recherche du
poisson, quand un de nos invités avait suggéré de nous rendre là où le plan
d'eau se rétrécissait. C'est avec plaisir et de
connivence avec mes compagnons que nous nous rendîmes à portée de vue
de l'affiche installée la veille...
— Ben dis donc, merde alors, qu'est-ce que c'est que cette affiche en
pleine forêt? Qu'est-ce qu'elle fout là putain? me demanda un des invités.
Un de mes compagnons tenta une réponse :
— Cé une pancarte! Avec un fond jaune de même, té sûr de pas la
manquer. Pis dessus, cé un buck.
Et j’ai rajouté :
— C’est le Ministère qui l’a installée. Ça veut dire qu'ici, c’est une
passe à orignaux. Faut faire attention, y peuvent traverser la rivière
n'importe quand. C'est fait spécialement pour eux.
— Cé comme une lumière rouge sur un coin de rue, renchérit un autre
«pure laine››. Quand l'orignal passe, t'arrête! Cé une sorte de stop... C’est pas un passage à niveau, c’est un
passage à orignaux!
Là, je trouvais qu'il en mettait peut-être un peu trop. J’ai donné un
coup de tête dans sa direction en levant le menton pour me faire comprendre.
Mon compagnon me répondit par
un haussement d'épaules.
— Ça veut dire, nous demanda un des Français, qu'on pourrait avoir la
chance de voir passer un orignal, et de si près?
— Ben sûr, c't'affaire! ai-je alors répondu, essayant de ne pas pouffer
de rire.
Soudain, à notre grande surprise, un craquement de branches attira
notre attention. Sur la rive, une magnifique « mère orignal » et son
petit s'apprêtaient à traverser la rivière à l'endroit précis où j’avais
installé le panneau indicateur...
— Ça alors, c'est extraordinaire! dis un des
invités. Vous avez tout un sens de la nature vous les Québécois. Ça alors!
Nos invités n'ont jamais su que, ce jour-là, nous étions bien plus
étonnés qu'ils n'auraient pu l’imaginer... Et il fallut que ce soit un Français
qui eut le dernier mot :
— Dites, avez-vous des affiches comme ça pour le passage des gros poissons?...
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