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samedi 16 novembre 2013

Les truites enchaînées


Les truites enchaînées; blogue de pêche
Leur journée de pêche avait été parfaite. Pas d'encombre, pas de panne, pas de crevaison, pas trop de soleil, pas trop de vagues, pas trop de moustiques... C’est ça qu’ils appelaient une
journée parfaite. Bien sûr, avec tous les « pas » et « pas trop » que les pêcheurs avaient énumérés en faisant le bilan de leur journée, on aurait pu s'attendre à ce qu'une personne lâche le coup d'envoi : « pas trop de poissons! »... Mais tel ne fut pas le cas. Du poisson, par chance, il y en avait et, d'ailleurs, n'oublions pas une chose : sans poisson, il n'y a tout simplement pas
de conclusion ou de bilan de la journée. Non, quand il n'y a pas de poissons au rendez-vous, il y a place aux excuses, mais cela est une autre histoire...

 Or donc, la journée était parfaite! Et les pêcheurs avaient même oublié un détail qui les fit sauter de joie quand l'un d’eux s'en souvint. C’était au tour de Gaston de préparer la bouffe. Et
cela tombait drôlement bien, car Gaston était grand chef cuistot dans un restaurant chic chic chic! Connaissant les règles du jeu et sachant que c’était à son tour, notre cuisinier, évidemment, s’était préparé en conséquence. Il avait eu tellement de mal à digérer le pâté chinois de l'oncle Albert servi la veille que là, il allait en impressionner plusieurs.

Comme entrée, filets de truite sauvage au bouquet de bière et, comme plat principal, vol-au-vent à la provençale ou quelque chose du genre... « Pour ce faire, dit Gaston, je n'ai besoin que de quatre belles truites comme celles-là. »

Et il décrocha les mouchetées de la chaîne à poissons et, pour ne pas se salir les mains davantage, très snob, mais très très snob, il déposa les truites sur la table à pique-nique. Ne
sachant que faire du reste de la chaîne où étaient encore retenues deux magnifiques truites arc-en-ciel de cinq livres, il décida, comme si cela était tout à fait normal, d'accrocher à une branche la chaîne à poissons qui maintenant l’embarrassait.

 

— Bon, j'ai les truites pour l'entrée, lança-t-il.  Avec vous, j’ai bien fait de ne prévoir qu’une entrée de poisson pour le repas, parce qu'on ne peut pas dire que vous avez été de grands pêcheurs jusqu'à présent!...

— Eh! Gaston, répliqua l'oncle Albert en riant, tu nous prends pour qui? T'as pas remarqué les deux truites de cinq livres... Ha! ben non, tu peux pas les avoir remarquées, vu que t'as rien pêché de la journée...

— Les meilleures, ce sont les plus petites! répondit Gaston.

Tu les prépareras toi-même ces deux-là, moi j'ai ce qu'il faut pour la bouffe... Garde-les pour demain... À moins que t'aimes mieux le pâté chinois...

— Té pas comique...

— Bon, venez faire votre tour dans la roulotte, au moins on sera assis confortablement, parce que ça commence à être frais ici, et puis ça fait deux fois que je me fais piquer... allez, je vous paie la tournée!

— Là tu parles comme un grand chef! lui concéda l'oncle Albert.

 

Tous bien installés, les pêcheurs appréciaient le confort des coussins de la roulotte. Cela changeait des bancs d'aluminium, un peu durs pour le postérieur après huit heures de pêche. Les pêcheurs buvaient, riaient et se moquaient gentiment de Gaston qui avait enfilé tablier et toque de circonstance.

Déjà une heure s'était écoulée quand l'oncle Albert décida d'aller « faire pleurer Marguerite ». Il faisait à peine sombre et le ciel s'annonçait étoilé.

 

— Oncle Albert, vu que tu sors pisser, arrange donc les truites avant qu'on les oublie, demanda Gaston.

— Bonne idée, dit l'oncle Albert, un peu plus et je les oubliais ces belles truites-là.

 

Quelques secondes s’écoulèrent.

 

— Ostie, les truites! Lâcha l'oncle Albert avec force.

 

Dans la roulotte, les pêcheurs se regardèrent puis, dans un même élan, voulurent tous sortir en même temps par l'étroite porte.

 

— Qu'est-ce qu'il y a? demanda Gaston.

— Ostie, les truites! répéta l'oncle Albert.

— Pourquoi t'as pissé dans tes culottes, l'oncle Albert? Demanda Gaston.

— Parce que j'ai été obligé de couper mon envie en deux!

Pis que j'ai manqué de visou quand j’ai levé la tête, espèce de gnochon! R'garde là! R'garde là!

— Où ça?

— Dans l'arbre!

— Ben ça parle au maudit!

— C'est d'ta faute, Gaston, si t'es avais pas accrochées là, on se serait pas fait manger nos plus belles truites! Ostie d'Gaston!

— Qui a bien pu faire ça? demanda Gaston.

— Juste comme je levais la tête en direction de l'arbre, j'ai entendu du bruit. C'était un gros raton laveur qui s'enfuyait.

 

Pendues à l'arbre, et toujours accrochées à leur chaîne, les truites faisaient piètre figure. Pour les deux spécimens, il ne restait que la tête, tout le système osseux et... la queue. Deux

squelettes pendaient à l'arbre, minutieusement découpés et dégustés par l'animal qui n'avait pas brisé un seul os, qui n'avait pas touché à une seule arête!

L'oncle Albert en avait encore long à dire et cela allait sortir sous forme d'engueulade... Mais Gaston cria :

 

— Ça sent le fond de poêle qui colle!  Mes truites!

 

Il se dirigea à toute vitesse dans la roulotte pour constater que ouf! les truites étaient sauvées. Un peu plus, et toutes les truites de la journée y passaient.

Puis, l'oncle Albert se ravisa, trouva prétexte aux yeux des autres pêcheurs pour rigoler et tirer profit de l'aventure et avoua à Gaston qu'il était bien heureux de manger de la truite,
ne serait-ce qu'en entrée, car lui non plus n'avait pas tellement apprécié... son propre pâté chinois...

  Daniel Lefaivre        <'))))><



1 commentaire:

  1. Ha, elle est bien bonne. Belle aventure qui me fait décrocher de ma journée de travail. Ça me donne le sourire.

    Est-ce que tout cela est basé sur une histoire vraie?

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