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Et
ce jour-là, son bon vieux « pifomètre » n'allait pas le tromper.
C'était une belle journée d'automne comme on en a peu, une journée où
fourmillent des dizaines de chasseurs entassés dans leur embarcation et cachés
dans les hautes herbes…
De
loin, on pouvait facilement distinguer ces branches de conifères et ces amas de
buissons reliés à des structures de bois qu'on appelle des caches.
Vraisemblablement, cette baie du lac des Deux-Montagnes se transformait en vrai
champ de tir à cette période de l’année. Il était facile d'y constater qu'une activité
fébrile et peu coutumière rendait le marais trop calme les jours d'attente et
de surveillance, comme si la présence des chasseurs empêchait la nature de
s'exprimer.
Henri
n'en était pas à sa première expérience de pêche en automne et son plus grand
plaisir repose sur des valeurs simples. Il s'adonne depuis toujours à la pêche
à la perchaude et il faut goûter aux filets qu'il vous sert une soirée d’hiver
pour en apprécier tout le charme et toute la saveur.
Henri
s'était rendu à son site privilégié, avec une embarcation propulsée par un
moteur bruyant qui aurait fait la joie d'un antiquaire. Il installa son
équipement désuet et attendit avec patience les premières touches. Tournant le
dos au soleil pour être encore plus à l'aise, il leva les yeux vers la rive et
admira la nature, les herbes hautes jaunies par la saison et il observa les
taches sombres et bizarres formées par les caches.
Il
distinguait même des mains qui se tendaient vers lui, des mains qui
s'agitaient, des bras mêmes qui secouaient l'air sans faire de bruit. Henri
répondit de bon cœur à ce symbole universel et, à son tour, envoya la main aux
chasseurs en guise de salutations.
En
quelques minutes, Henri captura un peu plus d'une dizaine de perchaudes avec
habitude et facilité. Il sentait comme un grand silence dans les marais malgré
l'agitation des mains qui pourtant — il venait tout juste de s'en rendre compte
— n'avaient pas encore cessé! Henri secoua la tête et ferma les yeux à
plusieurs reprises comme pour se rassurer.
Non,
Henri n’avait pas la berlue!
Cela
faisait bien plusieurs minutes que les chasseurs camouflés lui faisaient toutes
sortes de signes en battant l'air avec les mains! « Que peut bien
signifier ce rituel? » se demanda Henri.
Mais
il n'eut pas le temps d’y penser davantage, car à cet instant, la canne de
bambou se courba avec violence et cassa net, avant même qu'il n'eût le temps de
réagir. Il avait bien essayé de ferrer, mais il se contenta de retenir la canne
avant que tout l'attirail ne se retrouve à l'eau. En se brisant, le bambou
avait émis un son d'une effroyable intensité, comme celle d'un pétard, d’une
bombe... Mieux, une détonation, un coup de feu! Quelques oiseaux migrateurs
apeurés prirent leur envol.
—
Sacrament, se dit Henri, je viens de pèter mon boutte de ligne...
Henri
tenait toujours fermement le manche de sa canne et, par chance, le monofilament
n’avait pas cédé. Il tentait de ramener à la surface le coupable qui lui avait
brisé une canne — sa préférée — qu'il
possédait depuis plus de vingt ans. La partie supérieure de la canne était
encore retenue au fil par ses deux petits anneaux. Elle incommodait le pêcheur
en demeurant à la surface de l’eau et faussait toute stratégie.
Plus
loin, les chasseurs crurent entendre un coup de feu. Le pêcheur solitaire
avait-il découvert une nouvelle technique de chasse? D'où venait cette
détonation si subite? Décidément, il s'agissait d'un étrange pêcheur, car à cet
instant, c'était à son tour de répéter le manège des mains qui s'agitent.
Quand
Henri aperçut la taille du maskinongé qui avait sectionné la canne, il n'eut
d'autres réflexes que d’appeler à l'aide en envoyant la main aux chasseurs en
guise de détresse. Il n'avait qu'une seule idée en tête: tirer le maskinongé à
bout portant! Oui, le tirer avec un .12 pour réussir à le sortir de l'eau!
Il
criait, il criait de toutes ses forces. Il lançait :
« Venez
le tirer! », « Arrivez, y a pèté ma ligne! », « J'ai besoin
d'un coup de main! », « Ôtez-vous les doigts d'dans le nez! »...
Mais
la distance et surtout le vent repoussaient sa voix. Les cris n'atteignaient
pas les chasseurs. L'un d'eux qui observaient Henri gesticuler prononça:
—
Non mais y s'fout de notre gueule celui-là! On fait tout pour se cacher et lui,
l'imbécile, y va se planter en face de nous pour pêcher! Depuis tout à l'heure
qu'on lui fait signe de décrisser! Y
veut rien entendre...
Un
autre chasseur lâcha :
—
M’en va y couler sa chaloupe si ça continue. Puis on dirait qu'y fait exprès,
on dirait, en plus, qu’il crie pour éloigner les canards, pis y nous envoie la
main comme s'il voulait nous chasser! Un maudit baveux...
Le
maskinongé réussit à se dégager en brisant le peu qui restait de la canne.
—
Gang de cons! Lâcha Henri, outragé par le peu de coopération des chasseurs.
Il
tourna à nouveau son regard vers les caches et les chasseurs commencèrent
sérieusement à s'impatienter. Un homme debout, maintenant visible, faisait
encore de grands signes au pêcheur.
—
Cette espèce d’idiot s'imagine qu’on lui dit bonjour, lâcha un autre
chasseur...
—
Pauvres cons d’ostie d'crétins, vous auriez pu venir m'aider à sortir mon
poisson au lieu de rester là à m'envoyer vos salutations avec les mains!
Ces
chasseurs s'imaginent peut-être que je leur disais bonjour, se dit finalement Henri...
Déçu,
Henri remballa ses affaires et se prépara à démarrer quand, au même instant,
une volée de canards surplomba le plan d'eau. On entendit de nombreuses
détonations et des cris de satisfaction. Henri sursauta, surpris par tant de
vacarme et un bruit sourd qui provenait de son embarcation le fit tressaillir davantage.
Un coup de feu venait-il d’être tiré dans sa direction? Il venait de comprendre
tout à coup que les gestes qui provenaient des caches signifiaient le contraire
de « Bienvenue », le contraire de ce qu'il avait imaginé. Maintenant, il comprenait ce qui se passait,
il savait qu'une énorme confusion s'était installée entre lui et les chasseurs.
Pris
de panique, Henri déguerpit, ne quittant pas des yeux les chasseurs qui se
dirigeaient vers lui. Mais les hommes ne poursuivaient pas Henri. Seuls
quelques-uns étaient sortis de leur cachette pour aller récupérer les canards
touchés, oubliant qu’un intrus avait perturbé le calme requis pour chasser, et remerciant
le ciel qu'un coup de feu (la canne à pêche de Henri) ait apeuré les canards
qui se terraient dans le marais voisin...
Henri
poursuivit son chemin, maintenant rassuré sur les intentions des chasseurs.
—
Quelle confusion, se dit-il, tout cela n'avait plus de sens!
Puis,
Henri se rappela le coup porté. Si on ne lui avait pas tiré dessus, qu'était donc
ce bruit sourd qui percuta contre l'embarcation? Il se décida à tourner la tête
en direction de la coque, car il lui semblait bien que l’étrange bruit qu’il
venait d'entendre provenait de cet endroit.
—
C'est pas vrai, dit-il, ça s'peut pas!
Un
magnifique spécimen, un gros malard, dans sa chute vertigineuse, s'était écrasé
au fond de la chaloupe!
Henri
filait maintenant avec une bonne vitesse de croisière, admirant son butin en se
répétant:
—
Ça s'peut pas! Ça s'peut pas!
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